Du juridique à l’égotique

L’époque que nous vivons est forte en rebondissements politiques. Ces derniers montrent à quel point la pratique du pouvoir peut changer la perception qu’on peut avoir de certaines normes constitutionnelles.
Il y a les plus évidentes, tel le fameux 49-3, ou encore l’usage d’un large panel d’articles utilisés au moment du vote de la réforme des retraites, pour la première fois ensemble, et dont la combinaison peut permettre à un texte de loi d’être adopté sans n’être jamais voté.
Mais je vais revenir ici sur deux évènements marquants de ces derniers mois.

La dissolution

Elle est prévue par l’article 12 de la Constitution, qui dit, dans son premier alinéa :
« Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des
Présidents des Assemblées, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale. »
Lors de la campagne des élections européennes, alors que certains lui demandaient une
dissolution en cas de vote défavorable, Emmanuel Macron répondait que ce scrutin n’avait pas de portée nationale.
Le soir des élections du 9 juin 2024, son camp a fait un score jugé mauvais (14%).
Quelques minutes après l’annonce des résultats, le Président décidait d’une dissolution.
La première réaction était l’incompréhension, chacun du coup essayant de rationaliser. Je me disais personnellement qu’il voulait du RN à Matignon, pensant ainsi le décrédibiliser.
Il y eut très rapidement après un sentiment de sidération, y compris dans son propre
camp.
Puis, également en très peu de temps, un malaise est né, particulièrement en voyant qu’il semblait vraiment croire en ses chances, quand il mettait en place un récit consistant à dire que c’était lui ou le chaos. Récit pourtant similaire à celui qui avait conduit au résultat des élections européennes.
Le résultat fut sans surprise, son camp a perdu.

Le vote de confiance

Il est prévu par le premier alinéa de l’article 49 :
« Le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant
l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou
éventuellement sur une déclaration de politique générale. »
Le 13 décembre 2024, le Président a nommé François Bayrou premier ministre. Présent
dans la vie politique depuis au moins 3 décennies, une certaine réputation le précédait : fin politique, bon négociateur, et favorable à la démocratie sociale notamment. Mais aussi, manquant de courage, très indépendant, et ayant donc de grandes idées pour la France qu’il n’avait jamais mises en pratique, très religieux mais laïc (il avait régulièrement critiqué Nicolas Sarkozy sur ce point).

Dès qu’il a été nommé, il a cité François Mitterrand (« enfin, les ennuis commencent… »), et a souligné qu’il l’était le jour de l’anniversaire de la naissance d’Henry IV.
Il a organisé une réunion des partenaires sociaux pour discuter de la réforme des retraites, qu’il a appelée « conclave », terme qui n’a aucune autre signification que religieuse. Il a également évoqué la nécessité de supprimer deux jours fériés, dont le lundi de Pâques, qui, a-t-il immédiatement tenu à préciser, n’est pas une fête religieuse.
Il s’est enfin régulièrement comparé à Pierre Mendès France.
Tout cela n’est évidemment pas exhaustif, c’est uniquement pour contextualiser mon
propos.
Il a annoncé le 25 août 2025 qu’il allait demander un vote de confiance à l’Assemblée
nationale le 8 septembre.
Il faut distinguer ce vote d’une censure, spontanée (49-2) ou déclenchée par la soumission au vote d’une loi (49-3), cette dernière étant automatiquement « votée » dès lors que la censure ne passe pas.
Dans le cadre d’un vote de confiance, le vote pour constitue un soutien clair, alors que la censure permet de ne pas voter pour la chute du gouvernement tout en étant dans
l’opposition. En outre, la censure, pour être adoptée, nécessite au moins 289 voix pour, là où la confiance n’est pas accordée seulement si la majorité simple n’est pas atteinte (la majorité des présents).
Le vote de confiance est donc beaucoup plus difficile à obtenir qu’une non-censure.
Ma première réaction, après m’être demandé pourquoi ce choix en apparence
incompréhensible, a été de me dire qu’il s’agissait d’une démission déguisée, et d’un refus d’obstacle.
Il y a ensuite eu une forme de sidération, y compris dans son propre camp, même si elle
était d’une moindre ampleur qu’un an auparavant.
Puis, le lendemain, est apparu un malaise, lorsqu’il a évoqué l’idée selon laquelle la
population allait faire pression sur ses élus pour les contraindre à lui accorder la confiance, tout en laissant entendre que c’était lui ou le chaos.
Beaucoup se sont mis à se demander s’il y croyait vraiment.

Du déni de réalité (articles 12 et 49-1)

On a dit de la nomination de François Bayrou qu’elle s’était faite par une clé de bras de ce dernier sur le Président de la République, en le menaçant de lui retirer son soutien s’il nommait quelqu’un d’autre. En l’absence de majorité, ce n’était pas envisageable.
Bien que les deux protagonistes étaient proches, cette nomination est donc intervenue sur fond de rivalité. Il n’est ainsi pas exclu que François Bayrou ait tenté de réussir là où un an auparavant le Président avait échoué, et que ce dernier ait validé son choix pour lui démontrer qu’il ne ferait pas mieux.

Je ne suis pas constitutionnaliste, mais je n’avais jamais entendu parler d’un
rapprochement entre ces deux normes constitutionnelles, dont on dirait que l’une existe
pour le Président, et l’autre pour le premier ministre, mais que dans le fond elles seraient équivalentes.
On le fait de la motion de censure et de la dissolution par exemple. L’une peut entraîner
l’autre, mais c’est en réaction.
L’absence de confiance entraîne la nomination d’un nouveau premier ministre, là encore, en réaction.
Mais un usage de la confiance et de la dissolution qui semblent désespéré, dont l’issue de chacune semble claire en amont, et qui visent à obtenir, par deux fois, et à un an
d’intervalle, le même résultat, je n’en avais jamais entendu parler.
C’est désormais chose faite : il est clair qu’un lien peut être fait entre les deux, par la
pratique (pour le moins originale) qui en a été faite.
Le résultat du vote de confiance fut sans surprise, et sans appel, les mêmes causes
produisant les mêmes effets (364 voix contre la confiance).