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Ce curieux débat de l'entre-deux tours de l'élection présidentielle.

Le 16 avril 2022
Ce curieux débat de l'entre-deux tours de l'élection présidentielle.

Deux sujets semblent occuper principalement les commentateurs en ce moment : la place d'un éventuel référendum sur l'immigration, et la place du droit de l'Union européenne au regard de la Constitution dans le droit national. Ces deux débats sont intimement liés. Pourtant, le lien ne semble jamais être fait entre les deux.

Sur quoi portent ces deux sujets ?

Les deux débats découlent de deux propositions contenues dans le programme de Marine Le Pen :

- elle veut faire voter par référendum une loi portant sur l’immigration, et dont une partie modifie la Constitution ;

- Elle veut ensuite inscrire dans la Constitution le principe de primauté de la Constitution française sur le droit de l’Union européenne.

Pour le référendum, le débat porte sur la procédure applicable. Soit il faut en passer par l’article 11 de la Constitution de 1958, qui concerne « tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions » et qui peut être décidé à l'initiative du Président de la République, sur proposition du Gouvernement, ou d'un cinquième des membres du Parlement (Assemblée nationale + Sénat).

Soit il faut en passer par l’article 89, qui concerne les révisions de la Constitution, et dont « le projet ou la proposition (…) doit être (…) voté par les deux assemblées en termes identiques » (étant précisé que « le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès »).

La différence de procédure est particulièrement importante lorsqu’on évoque le Rassemblement national, qui ne comptait dans ses rangs qu’un seul sénateur, parti depuis quelques mois rejoindre Eric Zemmour.

Pour ce qui concerne la primauté du droit européen sur la Constitution, les choses sont en revanche un peu plus compliquées.

Quel est le lien entre ces deux sujets ?

Aux termes de l’article 54 de la Constitution :

« Si le Conseil constitutionnel (…) a déclaré qu'un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement international en cause ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution ».

Cet article s’applique évidemment au droit européen.

Et c’est en cela que les deux débats sont liés, sans l’être par ceux qui en débattent.

Pour illustrer l'absence alléguée de démocratie par l’Union européenne, ses détracteurs évoquent souvent le référendum de 2005 concernant le référendum sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe. Celui-ci avait été rejeté par 55 % des français. Néanmoins, quelques années plus tard, le Traité le Lisbonne, très proche, était adopté par le Parlement réuni en Congrès, sans en passer par le peuple.

Si on résume cette séquence, il y a donc eu un référendum en 2005, puis la réunion du Parlement en Congrès en 2008.

Comme on a vu, il y a deux types de référendum dans la Constitution : un pour adopter une loi, un autre pour changer la Constitution. Et ce dernier, en l’absence de référendum, oblige à en passer par le Parlement réuni en Congrès.

Or, c’est précisément ce qui s’est passé en 2005 et en 2008. Il s’agissait donc bien de modifier la Constitution pour pouvoir adopter des traités européens.

Et pourquoi en passer par ces procédures, alors que le droit européen serait supérieur à la Constitution française ?

La réponse est simple : parce que la Constitution reste notre norme suprême, et que le droit européen ne peut être appliqué en droit interne que s’il n’entre pas en contrariété avec elle. Et les textes soumis aux votes impliquaient certains changements de la Constitution.

Il n’y a donc aucune raison d’ajouter à la Constitution une norme qu’elle contient déjà (et qu'elle est, par essence).

Pourquoi ce lien n’est-il pas fait ?

Le débat révèle peut-être une différence qui résiderait plutôt dans la pratique : il n’y aurait par principe, posé par la Présidente Marine Le Pen, pas de modification de la Constitution en cas de contrariété du droit européen avec elle.

Mais cela, il n’est nul besoin de le mettre dans la Constitution.

En outre, en période électorale, il arrive que deux camps qui en apparence s’affrontent aiment à le faire sur un postulat qu’ils savent être faux mais que chacun accepte implicitement. Car c’est aussi cela le pouvoir : déclencher des débats hystérisés et clivants, hermétiques à toute rationalité, qui placent ceux qui s’affrontent au centre de l’attention. Ici, pour ou contre l'Europe.

C’est malheureusement assez souvent comme cela en période électorale. Ce qui peut-être explique l'attirance pour l'abstention, qui reste la meilleure « punition » pour que ceux qui recherchent les suffrages soient hystériques tout seuls, dans leur coin, sans personne pour participer à leur petit jeu.